La canonisation

La canonisation

Récit de la canonisation

 Saint John Henry Newman (1801-1890) a été canonisé le 13 octobre 2019.  Découvrez à travers notre site cette figure unique de sainteté chrétienne avec l’Association Francophone des Amis de Newman qui œuvre depuis des décennies à le faire connaître et aimer.

13 octobre 2019

Ce dimanche 13 octobre, la foule des pèlerins déborde Place Saint-Pierre dès les premières heures de la matinée. 

Le centre de la catholicité offre un beau symbole de la richesse bariolée de l’Église : Brésiliens exubérants qui chantent et esquissent des pas de danse, Indiens plus hiératiques, jeunes Suisses qui déploient un grand drapeau helvétique, italiens nombreux, groupes de newmaniens sans doute les plus internationaux, anglophones et autres, anglicans et catholiques ;  et, perdus dans cette marée, quelques responsables de notre Association Francophone des Amis de Newman qui nous étions donné rendez-vous l’après-midi de ce dimanche et nous sommes déjà retrouvés dans la même queue pour entrer place Saint-Pierre, sécurité oblige. 

Après la récitation du chapelet, la messe de canonisation commence, un peu après dix heures, alors que le soleil automnal se fait déjà bien généreux. Sur la façade de la basilique Saint-Pierre, le portrait de Newman occupe la place médiane, entouré par trois figures féminines de sainteté pour aujourd’hui. Les livrets distribués par dizaines de milliers nous permettent d’apprendre l’essentiel sur ces quatre compagnes de canonisation de Newman : Sr Guiseppina Vanini, fondatrice des Filles de saint Camille, Sr Mariam Thresia Chiramel Mankidyan, ermite du Kerala contrariée et fondatrice de la Congrégation indienne de la Sainte Famille, Sr Dulce Lopes Pontes, de Salvador de Bahia, icône de la charité, servante des pauvres, morte il y a seulement 27 ans et Marguerite Bays, humble couturière et tertiaire franciscaine, stigmatisée et revivant la Passion du Christ. 

Après les rites initiaux de la messe, la canonisation proprement dite est à la fois sobre et émouvante : le Veni Creator, la présentation de cinq bienheureux proposés au Saint Père pour être canonisés et la formule de canonisation – plus précisément l’inscription des cinq bienheureux dans le Catalogue des Saints à vénérer comme tels par l’Église universelle. 

La messe qui suit est celle du 28ème dimanche du Temps Ordinaire et le pape François prêche sur l’évangile du jour, la guérison de dix lépreux par Jésus, vue sous l’angle de la dynamique « invoquer, marcher, remercier » que le pape déroule.  Il conclue son homélie en évoquant brièvement les nouveaux saints : «Trois d’entre eux sont Sœurs… Elles montrent que la vie religieuse est un chemin d’amour dans les périphéries existentielles du monde» ; sainte Marguerite Bays témoigne, elle,  de la «sainteté dans le quotidien» et «montre combien la prière simple est puissante, de même que la patiente endurance, le don de soi silencieux» ; quant au saint Cardinal Newman, il a pleinement vécu et traduit en mots cette humble vie d’union à Dieu que les saints expérimentent, chacun selon leur vocation. Et le pape de conclure : «Demandons d’être ainsi, de “douces lumières” dans les obscurités du monde», citant devant la foule les paroles de Newman : «Jésus, “reste avec nous et nous commencerons à briller comme tu brilles, à briller de manière à être une lumière pour les autres” (Méditations sur la doctrine chrétienne – cette prière a été adaptée et faite sienne par sainte Teresa de Calcutta).

Un éditorial sur saint John Henry Newman du Prince de Galles dans l’Osservatore Romano

A l’occasion de cette canonisation, l’Osservatore Romano a publié un long éditorial signé par le Prince Charles, présent à la célébration place Saint-Pierre. Le voici, dans la traduction française publiée par le Service de Presse du Vatican : 

Lorsque le Pape François canonisera demain le cardinal John Henry Newman, le premier Britannique à être déclaré saint depuis plus de quarante ans, ce sera un motif de célébration non seulement pour le Royaume-Uni, et non seulement pour les catholiques, mais aussi pour tous ceux qui chérissent les valeurs par lesquelles il a été inspiré.

À l’époque où il vivait, Newman défendait la vie de l’esprit contre les forces qui avilissaient la dignité humaine et la destinée humaine. En cette époque où il parvient à la sainteté, son exemple est plus nécessaire que jamais, pour la manière dont, à son meilleur, il pouvait plaider sans émettre d’accusation, être en désaccord sans manquer de respect et, peut-être par-dessus tout, voir les différences comme des lieux de rencontre plutôt que d’exclusion.

À une époque où la foi était remise en question comme jamais auparavant, Newman, l’un des plus grands théologiens du XIXe siècle, a employé son intelligence à l’une des questions les plus instantes de notre époque : quel rapport devrait entretenir la foi avec une époque sceptique et laïque ? Son engagement dans la théologie anglicane d’abord, puis, après sa conversion, dans la théologie catholique, a impressionné même ses adversaires par son honnêteté intrépide, sa rigueur sans faille et son originalité de pensée.

Quelles que soient nos propres croyances, et quelle que soit notre propre tradition, nous ne pouvons que remercier Newman pour les dons, enracinés dans sa foi catholique, qu’il a partagés avec la société toute entière: son autobiographie spirituelle intense et émouvante, et sa profonde poésie dans “Le Songe de Gérontius” qui, mis en musique par Sir Edward Elgar – un autre catholique dont tous les Britanniques peuvent être fiers – a donné au monde musical l’un des chefs-d’œuvre choraux les plus durables qui soient.

À l’acmé du “Songe de Gérontius”, l’âme, s’approchant du ciel, perçoit quelque chose de la vision divine :

            «une harmonie mystérieuse,

Elle me submerge, pareille au bruit grave

Et solennel de nombreux cours d’eaux».

L’harmonie exige la différence. Le concept se trouve au cœur même de la théologie chrétienne dans le concept de la Trinité. Dans le même poème, Gérontius dit :

«Je crois vraiment et fermement

Que Dieu est Trois, et que Dieu est Un»

En tant que telle, la différence n’est pas à craindre.  Newman l’a prouvé non seulement dans sa théologie et l’a illustré dans sa poésie, mais il l’a également démontré dans sa vie. Sous sa direction, les catholiques s’intégrèrent pleinement dans la société, qui devint elle-même d’autant plus riche en tant que communauté de communautés. 

Newman s’est engagé non seulement avec l’Église, mais avec le monde. Tout en s’engageant de tout son cœur dans l’Église pour laquelle il a traversé tant d’épreuves intellectuelles et spirituelles, il a lancé un débat ouvert entre catholiques et autres chrétiens, ouvrant ainsi la voie à d’ultérieurs dialogues œcuméniques.

Lors de son accession au cardinalat en 1879, il prit pour devise “Cor ad cor loquitor” (“le cœur parle au cœur”), et ses conversations au-delà des clivages confessionnels, culturels, sociaux et économiques, étaient enracinées dans cette amitié intime avec Dieu.

Sa foi était vraiment catholique en ce sens qu’elle embrassait tous les aspects de la vie. C’est dans ce même esprit que nous, catholiques ou non, nous pouvons, dans la tradition de l’Église chrétienne à travers les âges, embrasser la perspective unique, la sagesse et la perspicacité particulières apportées à notre expérience universelle par cette seule âme individuelle.  Nous pouvons nous inspirer de ses écrits et de sa vie même si nous reconnaissons que, comme toute vie humaine, elle était inévitablement imparfaite. Newman lui-même était conscient de ses défauts, tels que l’orgueil et l’attitude défensive qui ne correspondaient pas à ses propres idéaux, mais qui, en fin de compte, ne l’ont rendu que plus reconnaissant envers la miséricorde de Dieu.  

Son influence était immense. En tant que théologien, son travail sur le développement de la doctrine a montré que notre compréhension de Dieu peut grandir avec le temps, et il a eu un impact profond sur les penseurs ultérieurs.  Les chrétiens ont vu leur dévotion personnelle remise en question et renforcée par l’importance qu’il accordait à la voix de la conscience.  Ceux de toutes les traditions qui ont cherché à définir et à défendre le christianisme se sont montrés reconnaissants pour la manière dont il a réconcilié foi et raison. Ceux qui recherchent le divin dans ce qui peut sembler être un environnement intellectuel de plus en plus hostile trouvent en lui un allié puissant qui a défendu la conscience individuelle contre un relativisme écrasant.

Et ce qui est peut-être le plus pertinent de nos jours, alors que nous avons été témoins d’un trop grand nombre de graves attaques commises par les forces de l’intolérance contre des communautés et des individus, incluant de nombreux catholiques, en raison de leurs croyances, c’est qu’il s’agit d’une personne ayant défendu ses convictions malgré les inconvénients de l’appartenance à une religion dont on refusait la pleine participation des fidèles à la vie publique. Tout au long du processus d’émancipation catholique et de restauration de la hiérarchie de l’Église catholique, il a été le chef dont son peuple, son Église et son époque avaient besoin. Sa capacité de chaude cordialité personnelle et d’amitié généreuse se manifeste dans sa correspondance. Il existe plus de 30 volumes de ses lettres, dont beaucoup, ce qui est révélateur, ne s’adressent pas aux autres intellectuels et à d’éminents dirigeants, mais à sa famille, à des amis et aux paroissiens qui ont cherché sa sagesse.

Son exemple a laissé un héritage durable.  En tant qu’éducateur, son travail a eu une profonde influence à Oxford, Dublin et au-delà, tandis que son traité, L’Idée d’université, demeure un texte déterminant à ce jour. Ses travaux – souvent négligés – à propos de l’éducation des enfants témoignent de son engagement à faire en sorte que les jeunes de tous milieux bénéficient des opportunités qu’offre l’apprentissage. En tant qu’anglican, il a guidé cette Église vers ses racines catholiques et, en tant que catholique, il était prêt à apprendre de la tradition anglicane, par exemple en faisant la promotion du rôle des laïcs.  Il a redonné confiance à l’Église catholique alors qu’elle se rétablissait sur une terre d’où elle avait été autrefois déracinée. La communauté catholique de Grande-Bretagne doit aujourd’hui une dette incalculable à son travail inlassable, de même que la société britannique a des raisons de remercier cette communauté pour sa contribution incommensurablement précieuse à la vie de notre pays.   

Cette confiance s’exprimait dans son amour pour les paysages anglais et la culture de son pays natal, à laquelle il a apporté une contribution si remarquable.  Dans l’Oratoire qu’il a fondé à Birmingham, et qui abrite aujourd’hui un musée dédié à sa mémoire ainsi qu’une communauté active de fidèles, nous voyons la réalisation en Angleterre d’une vision qu’il a tirée de Rome, qu’il décrivait comme «le plus bel endroit sur Terre».  En amenant la Congrégation des Oratoriens de l’Italie jusqu’en Angleterre, Newman a cherché à partager son charisme d’éducation et de service.

Il aimait Oxford, ajoutant à sa grâce non seulement par des sermons passionnés et érudits, mais aussi par la belle église anglicane de Littlemore, créée après une visite d’études à Rome où, cherchant des conseils pour son chemin spirituel à venir et réfléchissant sur sa relation avec l’Église d’Angleterre et le catholicisme, il a écrit son hymne bien-aimé, “Lead Kindly Light” (“Conduis-moi, douce lumière”). Lorsqu’il a finalement décidé de quitter l’Église d’Angleterre, son dernier sermon d’adieu à Littlemore a laissé la congrégation en larmes. Il s’intitulait “La séparation des amis”.

Alors que nous célébrons la vie de ce grand Britannique, de ce grand homme d’Église et, nous pouvons désormais le dire, de ce grand saint, qui comble les clivages existant entre les traditions, il est tout à fait juste que nous rendions grâce pour l’amitié qui, malgré la séparation, n’a pas seulement duré, mais s’est renforcée. 

Dans l’image de l’harmonie divine que Newman a exprimée avec tant d’éloquence, nous pouvons voir comment, en fin de compte, en suivant avec sincérité et courage les différents chemins auxquels la conscience nous appelle, toutes nos divisions peuvent mener à une meilleure compréhension et toutes nos manières d’être peuvent trouver un foyer commun.

(https://www.vaticannews.va/fr/vatican/news/2019-10/canonisation-cardinal-john-henry-newman-editorial-prince-charles.html)