LE DÉVELOPPEMENT, RÉVÉLATION CONTINUE ? Grégory SOLARI

Études newmaniennes n° 29 (2014)

Pourquoi y-a-il des dogmes plutôt que la Bible seulement ? C’est à cette question, on le sait, que Newman a voulu répondre en formulant la théorie du développement doctrinal. Son élaboration a été progressive. Newman est parti d’une conception strictement protestante de la Parole de Dieu, limitée à l’« Ecriture seule » ; il a ensuite intégré le concept de Tradition, grâce à l’influence de Hawkins, pour aboutir à la « théorie des développements de la doctrine chrétienne », exposée une première fois dans le quinzième sermon universitaire, en 1843, et approfondie deux ans plus tard dans l’Essai sur le développement (révisé en 1878), qui en donne la version définitive. Je rappellerai de manière synthétique les étapes de cette élaboration dans la première partie de cette communication. Mon propos n’est pas de refaire l’historique de la théorie du développement, mais d’aborder celle-ci dans son rapport à la Bible, et plus largement dans sa relation au concept de Révélation. 

Jusqu’au concile Vatican II, la Révélation comprenait « deux sources » : l’Écriture et la Tradition. La théorie des deux sources constituait la réponse du concile de Trente au principe luthérien, repris de manière différente mais sans réelles divergences de fond dans le protestantisme, de l’Écriture comme unique source de la Révélation et comme unique autorité dans les communautés issues de la Réforme. La Tradition était dotée d’une autorité magistérielle : c’est à sa lumière que devait être lue et comprise l’Écriture. Mais en quoi consistait-elle exactement ? Aux textes des Pères ? Aux définitions des conciles et des papes ? Le concile ne répondait pas clairement. Malgré le travail des théologiens, la question demeura sans réponse satisfaisante jusqu’au XXe siècle. Il fallut attendre Vatican II et la constitution Dei Verbum pour que l’articulation malaisée de ces « deux sources » commence à trouver une solution satisfaisante. Ce n’est que récemment, avec l’exhortation post-synodale Verbum Domini de Benoît XVI, que la théorie des deux sources a été abandonnée au profit d’une redéfinition du concept de Tradition. Celle-ci ne fait plus « nombre » avec la Bible, comme un corpus de textes qui l’éclairerait de l’extérieur, mais elle en constitue la matrice : la Tradition n’est pas autre chose que la vie théologale de la communauté ecclésiale à l’intérieur de laquelle le Nouveau Testament a été rédigé. Comme l’écrit Benoît XVI : 

Le lieu originaire de l’interprétation scripturaire est la vie de l’Eglise. Cette affirmation n’indique pas la référence ecclésiale comme un critère extrinsèque auquel les exégètes doivent se plier, mais elle est demandée par la réalité même des Écritures et par la manière dont elles se sont formées dans le temps. En effet, les traditions de la foi formaient le milieu vital dans lequel s’est insérée l’activité littéraire des auteurs de l’Écriture sainte. […] Il convient que les exégètes, les théologiens et tout le Peuple de Dieu la considèrent pour ce qu’elle est réellement, la Parole de Dieu qui se communique à nous à travers une parole humaine. […]  La Bible est le Livre de l’Église et, de son immanence dans la vie ecclésiale, jaillit aussi sa véritable herméneutique.[1]

Le lieu de la Révélation n’est pas d’abord un texte, mais une communauté. Au moyen du concept « Livre de l’Église », le magistère de l’Église renoue avec la conception patristique de la Révélation, celle d’un saint Justin par exemple, pour qui l’acte révélateur de Dieu n’avait pas commencé avec l’appel d’Abraham, ni ne s’était limité au Peuple juif, mais comprenait toute la communauté humaine ; depuis l’origine du monde, les hommes n’ont jamais été sans être illuminés par ce que Justin appelle les « semences du Verbe » (logoi spermatikoi) dans l’Apologétique.

C’est dans l’horizon de cette définition à la fois ancienne et nouvelle de la Tradition pensée comme « Paradosis » de la Révélation que je voudrais situer la théorie du développement et son rapport avec la Bible. Je le ferai en trois parties, et dans l’ordre chronologique de la réflexion de Newman. 

            La première partie concernera la période Evangelical. Nous verrons comment les sermons de « Théologie biblique » prononcés à St Clement’s exposent le processus de la Révélation sous la forme d’un développement. 

            Dans la deuxième partie j’évoquerai la rencontre de Hawkins et la prise en compte de la notion de Tradition dans la théologie de Newman ; je soulignerai ici, brièvement, l’arrière fond philosophique qui sous-tend la vision de Hawkins. 

            La troisième partie sera consacrée à l’Essai sur le développement de 1845, et en particulier à l’élucidation de cette affirmation de Newman dans le deuxième chapitre du livre :

On peut aller jusqu’à affirmer, sans trancher la question de l’inspiration, que les livres de la Sagesse et de l’Ecclésiastique sont des développements des écrits des prophètes, interprétés ou élucidés au moyen des idées courantes dans la philosophie grecque, et en dernier lieu adoptés et ratifiés par l’Apôtre dans son épître aux Hébreux. 

Mais la Bible entière, et non seulement ses parties prophétiques, est écrite conformément au principe du développement. A mesure que la révélation avance, elle est toujours ancienne et toujours nouvelle.[2]

J’essaierai de montrer comment le principe de l’analogie mis en œuvre par Newman dans les deux premiers chapitres permet un double élargissement de la notion de développement : un premier à l’intérieur de la Bible elle-même ; un second, en direction d’une identification de la Bible avec la Paradosis elle-même, via le développement. 

Peut-on aller plus loin, et rapprocher le développement de l’idée de « Révélation continue », comme le font aujourd’hui certains théologiens avec la notion de Tradition ? Une discussion autour de cette possibilité constituera la conclusion de cette communication. À l’occasion des cinquante ans du concile, ce sera une manière de vérifier une nouvelle fois si Newman peut être considéré comme le « Père de Vatican II ».

1. La période Evangelical de Newman

La première étape de l’élaboration du concept de développement prend place à la fin de la période dite « Evangelical », entre 1823 et 1828. Newman est alors fellow d’Oriel depuis 1821 et curé de la Paroisse St Clement’s. C’est ce double cadre : universitaire et paroissial, qui constitue le creuset à l’intérieur duquel Newman va procéder au premier élargissement du concept de Révélation. Avant d’y venir, il faut rappeler brièvement les forces qui étaient alors en présence à Oxford, et quelle vision du monde elles véhiculaient. 

L’Angleterre était partagée entre deux tendances contraires. La première était marquée par un tropisme conservateur qui ne concevait la préservation de l’identité politique et religieuse du pays que sous la forme de la fixation dans le temps d’un modèle idéal ; c’était la tendance représentée de manière variée par la Haute Église et par le parti Tory

La seconde était animée par un tropisme inverse ; c’était le changement qui constituait le principe même de la vitalité d’une société, civile ou religieuse. Les idées de progrès, d’évolution, d’adaptation, etc. participaient de ce principe adopté par ceux qu’à Oxford on appelait les « libéraux », ou les Whigs en politique ; elles étaient appliquées dans le domaine des sciences, telles que la biologie, la sociologie, l’éducation, etc. La référence à un modèle idéal n’était pas pour autant abandonnée. Mais plutôt que d’être situé dans un passé considéré comme normatif, sa réalisation était transportée à la fin de l’histoire et ne valorisait celle-ci que dans la mesure où son cours était animé par un principe non de continuité organique mais de ruptures dialectiques. 

S’il fallait faire la généalogie philosophique de ces deux visions du monde, on pourrait dire que la première s’apparente lointainement à la philosophie de Parménide, avec son primat de l’Être sur le devenir et les catégories qui en dépendent, tandis que la seconde combine deux conceptions : celle d’Héraclite, pour qui « tout passe », et celle d’Aristote et du dynamisme qu’il confère à la nature (physis).

C’est à l’intérieur de ce cadre, entre l’« archéologisme » religieux d’Oxford et « l’eschatologie sécularisée » du libéralisme, que Newman dessina sa propre via media en forgeant le concept de développement. 

De l’Evangelicalism, Newman a reçu deux choses. La première est une conception très forte de la Bible comme Parole vivante de Dieu. La lecture des œuvres de Beveridge, Doddridge et surtout Thomas Scott lui ont appris que le croyant touche déjà d’une certaine manière le but à atteindre puisque par la foi il saisit la Parole même de Dieu consignée dans la Bible. Dans la radicalité de cette relation entre le croyant et son Dieu, Newman retrouvait l’éthos de sa conversion de 1816 – laquelle avait d’ailleurs été préparée par la lecture des auteurs calvinistes anglais. La seconde dette de Newman au calvinisme, c’est la notion de dogme. Par dogme, il faut d’abord comprendre ici la Révélation au sens d’un contenu intelligible, dont le cœur est la notion de vérité, et le véhicule le texte inspiré de l’Écriture. La totalité de la vérité révélée est contenue dans la Bible ; comme l’écrit Jean Stern dans son livre Bible et Tradition chez Newman, « même quand, au contact d’un anglicanisme moins étroit que celui de Mayers, Newman eut élargi son horizon, la Bible resta pour lui la “Règle de foi” suprême, le réceptacle de toutes les vérités nécessaires au salut, le lieu par excellence de la Parole de Dieu. […] Cette autorité, qui d’ailleurs n’est qu’un corollaire du “principe dogmatique”, il la respectera jusqu’à sa mort et la défendra contre les tenants du “libéralisme” »[3]. Nous verrons si le mot Bible recouvre exactement la même réalité au début et à la fin de la réflexion de Newman sur le développement. Retenons pour l’instant deux choses de l’héritage Evangelical : la première est l’identification du dogme avec l’Écriture ; la seconde est l’absence de tout concept de Tradition. Du point de vue calviniste, la suffisance de la Bible ne requiert pas de complément ; l’acte de lecture du croyant – et non pas celle de la communauté, du moins pas d’abord – est l’unique instance herméneutique. Le bénéfice de cette lecture est tout entier du côté de l’individu ; il consolide sa foi personnelle, mais il n’enrichit pas l’intelligence de la foi de la communauté. La Bible seule est objet de transmission, pas la foi de la communauté. Son rapport avec l’idée de développement est avant tout d’ordre éthique dans cette phase de la vie de Newman : c’est la relation individuelle du croyant avec le Christ qui se développe par la mise en pratique des commandements, ou plus largement par l’imitatio Christi

2.  La période du tutorat d’Oriel

Durant la période du tutorat d’Oriel, qui couvre les années 1826-1832, deux éléments vont aider Newman à sortir de l’Evangelicalism. Le premier est son ministère dans la paroisse de St Clement, commencé en 1824, dès après son ordination diaconale. Assez rapidement, ce ministère le convaincra que la division calviniste des hommes entre élus et réprouvés ne répondait pas à la réalité dont il faisait l’expérience. « Accomplissant mes devoirs paroissiaux », note-t-il dans son journal le 17 juin 1825, « j’ai trouvé beaucoup de gens qui, sur des points fort importants, étaient inconséquents, mais dont je ne pouvais cependant dire qu’ils étaient tout à fait privés de la grâce »[4]. Il s’ensuivra l’abandon progressif de la théorie de la prédestination ; la chose est connue, je ne m’y arrête pas ici, sinon pour relever ce trait caractéristique de Newman, pour qui une théorie, aussi belle fût-elle, ne saurait valoir contre les faits. La méthode est au service des phénomènes, pas l’inverse. 

Le second élément est l’influence qu’Edward Hawkins (1779-1882) exerça sur Newman entre 1824 et 1828. Hawkins était fellow d’Oriel et curé de St Mary’s, où en 1818 il avait prêché un sermon fleuve (96 pages imprimées) sur la Tradition. Newman, alors jeune undergraduate de Trinity College, était présent. L’Apologia nous dit qu’il écouta avec une oreille distraite cette prédication, dont il retint surtout la longueur. La fréquentation de Hawkins – les deux hommes se retrouvaient souvent seuls à discuter dans le Hall (réfectoire) d’Oriel –, ainsi que l’expérience du ministère à St Clement’s conduisirent Newman à lire le sermon de 1818 sur The Use of Unauthoritative Tradition. Hawkins admettait l’existence de la Tradition, mais à la différence des théologiens romains, il refusait de lui attribuer une autorité réelle durant le temps de l’Église – d’où le qualificatif d’« unauthoritative » appliqué à la Tradition. À l’origine celle-ci jouissait de la même autorité que les Écritures, mais elle perdit ce caractère après la mort des Apôtres, quand leurs successeurs perdirent le pouvoir de faire des miracles. Tradition et charismes apostoliques vont de pair pour Hawkins ; durant le temps des Apôtres, la Tradition ne fait pas nombre avec la Révélation : les deux concepts sont voisins, voire se recouvrent complètement ; durant la période postapostolique, c’est-à-dire le temps de l’Église, ils se séparent : la Bible seule conserve les propriétés du couple originaire Révélation-Tradition, tandis que cette dernière, sans disparaître tout à fait, se vide de sa nature prophétique et devient un instrument didactique. « Plus une doctrine est fondamentale, écrit Hawkins, plus il est vraisemblable qu’elle sera impliquée plutôt qu’enseignée directement dans les écrits que les Apôtres adressaient, sans nul doute, à des communautés chrétiennes déjà initiées aux articles élémentaires de la foi grâce à un enseignement dispensé de vive voix ». Cet enseignement oral, c’est ce que les communautés post-apostoliques vont recueillir et formaliser dans les premiers Symboles de la foi. Ceux-ci condensent l’enseignement de l’Écriture ; ils servent de guide de lecture, mais ils demeurent sous l’autorité de la Bible, comme l’Église qui les transmet.

Newman retira deux choses de la lecture de Hawkins. La première est une notion de la Tradition qui préservait l’autorité de la Bible ; il y adhéra progressivement à partir de 1825. La seconde est l’idée de pédagogie impliquée par le contenu de la Révélation. Selon le calvinisme d’où venait Newman, Dieu avait muni l’humanité d’un livre adapté à l’instruction religieuse élémentaire de chaque individu ; la communauté chrétienne était en quelque sorte un monde d’autodidactes. Pour Hawkins, au contraire, « une telle méthode n’est pas en accord avec les voies ordinaires de la Providence, qu’il s’agisse de la simplicité du plan général ou des dispositions qui ont trait à toute l’économie de la vie ; Dieu a voulu que le bonheur et le progrès dépendent toujours des relations mutuelles entre les hommes »[5]. Il faut retenir deux couples d’idées dans cette phrase du sermon de Hawkins. D’abord celui de « voies de la Providence » lié à « l’économie de la vie » ; ensuite celui de « bonheur et de progrès » lié aux « relations mutuelles entre les hommes ». Hawkins met en œuvre ici des notions cardinales de la philosophie aristotélicienne – progrès, bonheur, société des hommes – pour défendre son argument en faveur d’une pédagogie analogue dans le monde de la nature et dans celui de la Révélation. Les voies de la Providence ne contreviennent pas à l’ordre de la nature. Nous reconnaissons ici le concept d’analogie que Newman va utiliser dans l’Essai de 1845. 

Pour l’heure, ce qu’il retint de l’enseignement de Hawkins c’est que la Tradition au sens d’une pédagogie est impliquée dans l’idée même de Révélation. C’est ce que Newman s’attache à montrer dans une série de sermons sur l’extension progressive du christianisme prononcés à St Clement’s entre septembre 1825 et avril 1826[6].  « Pourquoi le schème entier de l’Évangile n’a-t-il pas été révélé dès le jour de la Chute, et pourquoi toutes les nations, depuis Adam jusqu’à la fin de ce temps, n’ont-elles pas connu le nom du Christ, ni été admises dans la communauté du Saint-Esprit ? »[7] Après avoir donné quelques éléments de réponse, Newman répond : « En fait, il y a des avantages, et nous pouvons les voir, à ce progrès lent et graduel de la vérité religieuse à travers le monde » ; suit l’énoncé de quelques précautions épistémologiques, puis Newman reprend : 

La révélation graduelle de l’Évangile constitue pour nous une preuve plus frappante de ce que l’Apôtre appelle la sagesse multiforme (polypoikilos) de Dieu (Ep 3) qui de diverses manières poursuit son œuvre d’âge en âge dans l’Église juive, préparant l’introduction de l’Évangile, procurant les moyens, prédisant les événements, fortifiant les indices, jusqu’à ce que le Christ apparaisse à la plénitude des temps. – Cette révélation graduelle est analogue à la croissance des êtres vivants dans le monde naturel. Dieu aurait pu créer les animaux et les herbes en un instant, mais il a fait en sorte que l’arbre grandisse lentement et sorte d’une mince brindille ou d’une petite semence, baigné par la rosée et chéri par le soleil. – N’y a-t-il pas plus à admirer dans ces contraintes que si par l’opération de sa parole toute puissante, toutes choses avaient été tout de suite parfaites et à leur plein développement ? – Le cas est similaire en ce qui concerne l’Évangile. Il nous a donné à voir une merveilleuse « machinerie » (pour ainsi dire) faite pour servir ses intentions. Selon les paroles de l’Apôtre, le Christ n’est pas seulement la puissance de Dieu, mais aussi la Sagesse de Dieu (1 Co, 1). Si Dieu avait introduit l’Évangile soudainement, son œuvre aurait été comme l’éclair dans le ciel – nous n’aurions pas discerné d’où il vient ni où il va. Par condescendance pour notre faiblesse, il a donc procédé lentement et graduellement, et de manière à ce que nous puissions voir la trace des mouvements de la main divine. De même qu’il a déployé six jours dans la création originelle du monde au lieu de la produire par acte unique et instantané, de la même manière réalise-t-il la nouvelle création du monde moral, lequel, ayant commencé à la Chute, ne devait pas être achevé avant la descente de l’Esprit au jour de la Pentecôte.[8]

La Révélation, en tant que nouvelle création, obéit aux mêmes lois que la première création ; l’économie divine, ou la « dispensation », est le cadre à l’intérieur duquel se constitue progressivement le corpus des livres qui recueillent la « trace des mouvements de la main de Dieu » dans le temps. Newman combine ici le concept d’Analogie qu’il a trouvé chez Joseph Butler en 1823 avec l’idée de pédagogie appliquée à la Révélation qu’il doit à Hawkins. Il n’est pas encore question d’une Église assumant ce rôle pédagogique, mais l’individualisme de la conception calviniste s’est élargi ; c’est la communauté des hommes – les nations – qui doit ultimement entrer dans la « communauté du Saint-Esprit » (« Fellowship of the Holy Spirit »), qui est une communauté eschatologique. 

Deux éléments cardinaux de la théorie du développement sont néanmoins acquis dès 1825. Le premier est le principe de l’analogie. C’est lui qui va permettre à Newman d’articuler le rapport entre Création et Révélation, puis, à l’intérieur de celle-ci, le rapport des régimes successifs de l’économie, de la révélation adamique à la Pentecôte ; ou, pour le dire autrement, c’est l’analogie qui assure l’unité des régimes typologiques à travers le temps. Le second élément est le caractère progressif de la Révélation. Le mot n’est pas encore présent dans ces sermons, mais c’est bien déjà l’idée d’un développement qui se dessine ici. En 1825 Newman le réserve à la constitution du canon de la Bible. Il faudra attendre vingt ans pour que les principes contenus à l’état latent dans le caractère dynamique de la Révélation débordent de la limitation de cette dernière au canon biblique et soient appliqués à la doctrine. Ce sera l’Essai de 1845.

3. L’Essai sur le développement de la doctrine chrétienne

Dans les années qui vont suivre, grâce à ses échanges avec Keble et Froude, mais surtout à la lecture systématique des Pères de l’Église entreprise à partir de 1828, Newman va progressivement expliciter les notions d’économie et de Tradition. On peut en suivre l’évolution dans les Ariens du quatrième siècle ainsi que dans les Sermons paroissiaux. Son ecclésiologie attribuera progressivement un caractère prophétique, et non plus didactique seulement, au magistère épiscopal ; tout cela a déjà été décrit, notamment par Alain Thomasset dans sa thèse sur les ecclésiologies de Newman, je ne m’y arrête pas ici, sinon pour souligner que la question de la Tradition, et donc celle du développement, va impliquer toujours plus étroitement celle de l’Église, de sa nature et de son rôle par rapport à la Bible. En 1843, dans le quinzième sermon universitaire sur « La théorie des développements dans la doctrine religieuse », Newman se demande comment ce qu’il appelle l’« Idée » du christianisme – c’est-à-dire la Révélation – se comporte quand elle entre au contact du temps et, plus spécifiquement, quand elle se saisit de l’esprit humain ? Dans sa réponse, Newman articule de manière originale la théorie platonicienne des Idées avec la théorie aristotélicienne des Formes, ou Essences, qui confèrent son caractère dynamique et intelligible à la Nature (physis) : les doctrines traduisent, mais sans la briser, l’unité de l’Idée chrétienne, dont la richesse de sens est de soi inépuisable. La question du développement est abordée d’un point de vue épistémologique : ce sont les doctrines qui évoluent ou se développent, pas le corps ecclésial, du moins la chose n’est pas dite de manière explicite dans le sermon. En tous les cas, en 1843, Newman n’expose pas toutes les conséquences impliquées dans le principe de l’analogie du cours de la Création avec celui de la Révélation biblique. Il va le faire dans l’Essai de 1845, en particulier dans les deux premiers chapitres du livre, où l’énumération de deux catégories de développements forme une série d’inclusions. C’est à eux que je vais me limiter ici.

Dans la section II du premier chapitre, Newman énumère les « différentes sortes de développements dans les idées ». Nous en trouvons quatre. La première sorte est d’ordre physique : elle comprend les domaines de la physis au sens propre (la nature, ou le vivant) ; Newman mentionne, mais pour l’exclure, le domaine des mathématiques, dont les lois échappent au devenir, et celui du politique qui concerne « ce que nous voyons dans la croissance des États et les changements de constitutions »[9]. La deuxième est logique et s’applique de manière générale à un domaine dans lequel « le caractère intellectuel est dominant »[10] ; il n’est pas séparable de l’histoire, puisque c’est « progressivement que se forme une opinion au sujet des personnes, des faits et des événements »[11]. La troisième sorte de développement est d’ordre éthique. Newman lui consacre plusieurs paragraphes. Il s’agit du domaine de l’agir, là où « ce qui est convenable, désirable, pieux, opportun, généreux » est recherché de manière personnelle et naturelle, par l’écoute de la conscience « plutôt que par une déduction strictement logique »[12]. La dernière sorte de développements est métaphysique : en guise d’explication, Newman cite ce passage de son sermon de 1843 : 

L’esprit qui est accoutumé à penser à Dieu, au Christ, au Saint-Esprit, se tourne naturellement avec une pieuse curiosité vers la contemplation de l’objet de son adoration, et commence à se former certains jugements à son sujet, sans savoir ni dans quelle direction, ni jusqu’où il se trouvera entraîné. Une proposition conduit nécessairement à une autre, et celle-ci à […] des développements nouveaux de l’idée originelle que l’on ne peut jamais considérer comme entièrement épuisée.[13]

Nous avons une première série d’inclusions dans cette section : 

Physique                        Logique/Historique        Ethique             Métaphysique 

Placés à la fin du premier chapitre consacré au « Développement des idées », ils forment une charnière entre les développements qui ressortissent du monde physique et ceux dont les propriétés « méta-physiques », au sens de « ce qui vient après la physique », ressortissent de la Révélation. On aurait pu s’attendre à ce que Newman les intègre dans le deuxième chapitre, consacré aux « Développements de la doctrine chrétienne ». Or, étrangement, il ne l’a pas fait, ni dans l’édition de 1845, ni dans la version corrigée de 1878, dans laquelle certains paragraphes ont été déplacés (par exemple celui consacré aux « tests », qui deviennent alors des « notes », permettant de distinguer les vrais des faux développements). Comment comprendre le caractère paradoxal de la présence de développements d’ordre métaphysique à l’intérieur de la série de développements d’ordre physique ? La mise en regard de la deuxième série de développements, dans la première section du chapitre II, peut apporter un élément de réponse. 

À la différence de ce qu’il fait dans la première énumération, dans laquelle les termes logiqueshistoriqueséthiquesmétaphysiques sont mis en italiques, Newman n’a pas de mots en évidence dans cette deuxième série. Cela explique peut-être pourquoi les deux chapitres ont rarement été rapprochés, du moins à ma connaissance. Pourtant Newman procède à son énumération dans le même ordre que dans le chapitre précédent. Pour le montrer, je me contente de citer le début des paragraphes 1, 3, 4, 6, 7, 9, qui forment la deuxième série d’inclusions.

1.         « Si le christianisme est un fait, s’il imprime en notre esprit une idée de lui-même »[14] : nous avons l’analogon des développements physiques.

2.         « De plus, si le christianisme est une religion universelle, qui ne convient pas seulement à un lieu ou à une époque, mais à tous les temps et à tous les lieux, il ne peut que varier dans ses relations et sa conduite à l’égard du monde qui l’entoure, c’est-à-dire qu’il se développe »[15] ;  nous avons deux choses ici: d’abord l’analogon des développements historiques ; ensuite l’élargissement du développement, de la doctrine au christianisme tout entier : c’est l’Église qui se développe.

3.         « Quand nous tournerons notre attention vers les doctrines particulières sur lesquelles l’Écriture insiste le plus fortement, nous verrons qu’il est absolument impossible de s’en tenir purement à la lettre de la Bible » ; nous avons l’analogon des développements logiques

4.         « S’il est un point où une règle était souhaitable dès le début, c’est bien le devoir religieux qui incombe aux parents chrétiens à l’égard de leurs enfants » ; et au § 7 : « Il est un autre sujet, d’un caractère pratique moins immédiat, sur lequel l’Écriture, sans garder à proprement parler le silence, en dit trop peu pour ne pas laisser désirer, mais assez pour suggérer un approfondissement au delà de la lettre : c’est l’état intermédiaire entre la mort et la résurrection » ; nous avons l’analogon des développements éthiques.

5.         Enfin, au § 8 : « Ainsi, l’argument que nous employons pour prouver que les développements du christianisme correspondent au dessein de son divin Auteur est analogue à celui qui nous fait reconnaître l’œuvre d’une intelligence dans l’ordre de l’univers physique. […] La méthode de révélation suivie dans l’Écriture confirme abondamment cette présupposition. » Ici, nous avons l’analogon – doublement même : l’idée et le terme même – des développements métaphysiques. L’univers de la Révélation est analogiquement une nouvelle Création. 

À partir de ce paragraphe et jusqu’à la fin de la section I du chapitre 2 de l’Essai, Newman va s’employer à montrer que « la Bible entière, et non seulement ses parties prophétiques, est écrite conformément au principe du développement. À mesure que la révélation avance, elle est toujours ancienne et toujours nouvelle. »

Après celle de la section II du premier chapitre, nous trouvons une nouvelle série d’inclusions ici. Le christianisme se développe aux titres de :

Fait                  Histoire/Vérité              Sainteté             Nouvelle création

Comparons maintenant les deux séries d’inclusions.

            Au chapitre 1, section II, § 1-9 : Nature :

Physique            Logique/Historique        Éthique             Métaphysique 

             Au chapitre 2, section I, § 1-9 : Révélation :

Fait                  Histoire/Vérité              Sainteté             Nouvelle création

Nous pouvons constater une première chose : c’est que dans chacune des séries, l’énumération des développements suit un mouvement anagogique : du monde physique au monde méta-physique dans la première ; de la facticité du christianisme – c’est-à-dire du caractère « conditionné » d’une religion historique à son caractère « inconditionné » : le christianisme comme nouvelle Création. C’est ce caractère conditionné qui explique que Newman ne sépare pas ce qui ressortit du logique de ce qui ressortit de l’historique : l’Idée chrétienne, comme les doctrines, apparaissent et se développent dans le temps. Nous voyons ensuite que le développement progressif de la Révélation, dans l’Écriture et dans l’Église, dans la deuxième série d’inclusions, correspond aux développements métaphysiques dans la première série, que Newman a intégrés à l’intérieur du chapitre exposant les développements d’ordre naturel. Ce parallélisme strict des inclusions a-t-il été voulu par Newman ? On peut le penser, d’autant que ce mode d’exposition par inclusions se répète dans la suite du chapitre. De plus, dans les corrections apportées à l’Essai dans l’édition de 1878, les critères des développements situés initialement entre les chapitres 1 et 2 qui nous occupent, ont été déplacés par Newman, de manière à rapprocher ces deux séries d’inclusions. Quel enseignement peut-on retirer ? 

Avant de répondre, rappelons-nous ce qu’écrit Newman dans l’Essai : « la Bible entière […] est écrite conformément au principe du développement. À mesure que la révélation avance, elle est toujours ancienne et toujours nouvelle » ; cette affirmation de 1845 synthétise la réflexion de Newman sur la Révélation et le développement. On en trouve des équivalents ailleurs dans l’Essai, et avant lui dans le quinzième sermon universitaire. L’idée se développe 

à travers des hésitations, délais, interruptions, mouvements contraires et retours en arrière […] jusqu’à la perfection dernière, jusqu’à la vérité totale, « suspendue à son centre en parfait équilibre », coordonnée dans toutes ses parties, une, absolue, intégrale, indissoluble – jusqu’à la fin des temps ![16]

« La pensée chrétienne », continue Newman, 

n’est que l’expansion de quelques mots prononcés, par hasard dirait-on, par des pêcheurs de Galilée. […] Il y a là un phénomène propre à l’Évangile, et une marque du divin. Ses phrases inachevées, son langage jaillissant, supposent qu’on les développe ; ils contiennent en eux-mêmes une vie qui s’accroît, une vérité qui se montre cohérente, une réalité féconde, une profondeur qui atteint un mystère […].[17]

« La Révélation elle-même nous fournit dans l’Écriture la structure générale […] du système dogmatique. »[18] Après s’être demandé pourquoi les « affirmations inspirées ont besoin d’être développées », il répond que la raison, après « qu’elle s’est mise en mouvement, […] ne peut plus s’arrêter de chercher ; un dogme en crée un autre au nom des mêmes droits qui l’ont créé lui-même ; les textes de l’Écriture sanctionnent la recherche en même temps qu’ils la dirigent, ils la commencent, sans l’épuiser »[19]. Et Newman conclut, au paragraphe suivant : « L’Écriture […] commence une série de développements qu’elle ne termine pas »[20]. À quoi on peut ajouter d’autres citations, extraites de l’Essai de 1845, des Sermons paroissiaux et de l’essai sur l’Antichrist :

Les développements de la Révélation se sont poursuivis tout au long de l’Ancien Testament, et jusqu’à la fin du ministère de Notre Seigneur. Mais il y a plus : si nous tournons notre attention vers les débuts de l’enseignement des apôtres après l’Ascension, nous nous verrons dans l’impossibilité de faire historiquement le point où s’arrête la croissance de la doctrine et où la règle de foi se trouve établie une fois pour toutes.[21]

L’économie divine avance d’une manière partout uniforme, comme autant de cercles qui s’élargissent autour d’un centre ; et [la réalité] du bien à venir, même si elle n’est pas la même [que celle du passé], ressemble néanmoins substantiellement à sa figure. Dans le passé, nous voyons en esquisse le futur.[22]

Chaque événement dans ce monde est une figure de ceux qui le suivent, l’histoire se développant comme une ligne circulaire qui va toujours s’élargissant.[23]

Avec ces citations à l’esprit, on pourrait dire que cette inclusion induit que la Révélation se déploie sans limite, ni de temps ni d’espace, et sans véritable solution de continuité entre ce qui ressortit de la Révélation biblique et ce qui ressortit du développement doctrinal. La frontière entre ce que l’on appelle « le temps de la Révélation », coextensif à l’Ancien et au Nouveau Testament, et celui de l’Église est sinon effacée, du moins rendue moins étanche – ou plus « plastique », pour reprendre l’idée – hégélienne – reprise par Vincent Holzer pour articuler la Révélation et son développement doctrinal. En tous les cas, il y a une continuité implicite entre les deux régimes. D’où cette question : quelle est la nature du développement newmanien ? Faut-il le penser comme l’indice d’une Révélation continuée ? L’analogie de la Paradosis ?[24]Mais quelle sorte d’analogie ? Il me semble qu’avec cette articulation – qui reste à définir – de la Révélation et du développement, Newman a anticipé ce qui constitue aujourd’hui l’un des grands chantiers de la théologie fondamentale après Vatican II. En guise de conclusion, je mentionnerai rapidement deux théologiens dont les réflexions me semblent confirmer cette lecture du développement newmanien.

Le premier est un théologien allemand, grand spécialiste de la pensée de Johann Adam Möhler : Joseph Rupert Geiselmann, qui a été professeur à l’Université de Tübingen. Au début des années 1960, immédiatement avant l’ouverture du concile, Geiselmann a publié un livre important, Die Heilige Schrift und die Tradition (Herder, 1962), dans lequel la Tradition est assimilée à la Paradosis. Le livre avait suscité des objections importantes de la part de certains théologiens, qui estimaient que cette position théologique remettait en cause le concept de « Donné révélé ». La constitution Dei Verbum n’avait pas encore été promulguée. Lorsqu’elle le fut, en 1965, on découvrit que le magistère donnait raison à Geiselmann (cf. chapitre 2 de la constitution). L’intérêt de Die Heilige Schrift und die Tradition vient que de ce que parmi les théologiens cités par Geiselmann pour étayer sa conception, à côté de Johann Sebastian Drey, Johann Adam Möhler, Franz Anton Staudenmaier, tous allemands, et tous théologiens de Tübingen, figure Newman. 

Newman aussi, écrit Geiselmann, admet l’existence d’une tradition des nations qui remonte à une Révélation primitive. Selon lui, la relation des peuples à Dieu n’est pas limitée à l’organe de la conscience, ni au pouvoir de la raison ni aux traces de la présence de Dieu dans la création. Pour lui, il est même « douteux que les phénomènes du monde visible conduisent d’eux-mêmes à une connaissance du Créateur » (Arians, p. 152). À toutes les époques il y a eu, et il y a encore, une tradition de vérités religieuses parmi les hommes, et il n’existe probablement pas de nation sans traditions. Mais là où il y a une tradition, il y a une révélation derrière elle, si bien que la révélation est juste aussi universelle et ancienne que la tradition. En conséquence, c’est d’une révélation primitive que sourdent ces traditions nationales, « ces traditions spécifiques qui ont leur origine première dans une illumination paradisiaque » (Grammar of Assent, p. 408).[25]

On voit ici que la lecture de Geiselmann élargit le concept de Tradition en l’identifiant à la Révélation via le principe de l’économie divine mis en œuvre par Newman. C’est cette conception qui a été adoptée par les Pères conciliaires dans le chapitre II de Dei Verbum.

Le second théologien est un jésuite, le P. Christophe Theobald, auteur d’une étude importante sur cette constitution : Dans les traces de la constitution « Dei Verbum »[26]. Je le mentionne non en raison d’un lien avec Newman – son nom n’apparaît pas dans le livre –, mais parce qu’il prolonge les travaux de Geiselmann sur la Paradosis. Je cite deux passages pour conclure.

Christoph Theobald rappelle d’abord comment un document de la Commission Théologique internationale sur L’Interprétation des dogmes (1990) « a réussi à dépasser la théorie des deux sources en enracinant le langage dogmatique dans les multiples confessions de foi du Nouveau Testament, et même en remontant en deçà de la Paradosis apostolique jusqu’au Jésus historique lui-même dont l’identité, telle qu’elle se manifeste dans ses paroles et ses actes, contient implicitement déjà l’évolution dogmatique postérieure »[27]. Cette théorie, dont Newman était contemporain, avait deux conséquences : l’une d’ordre historique, l’autre d’ordre épistémologique. « C’est la vision de l’histoire véhiculée par cette distinction et souvent symbolisée par la césure de la “mort du dernier apôtre” qui pose problème. D’un point de vue proprement historique, il est en effet très difficile de faire la distinction entre une époque constitutive de la Révélation clôturée avec la mort du “dernier apôtre” et le reste de l’histoire de l’Église »[28].

Or le schème historico-théologique qui souligne la césure entre une génération fondatrice, disparue pour toujours, et ses successeurs « risque de minimiser notre contemporanéité avec la Révélation et la créativité inhérente à toute réception, qu’on ne peut jamais réduire seulement à un acte de sauvegarde »[29]. Cette « créativité inhérente » qui nous rend contemporains de la Révélation, c’est le développement.


[1] Benoît XVI, Verbum Domini, p. 51-52. 

[2] Essai sur le développement de la doctrine chrétienne, Ad Solem, 2007, p. 94-95. C’est nous qui soulignons. . 

[3] Jean Stern, Bible et tradition chez Newman. Aux origines de la théorie du développement, Aubier, 1967, p. 29. 

[4] Écrits autobiographiques, DDB, 1956, p. 201. 

[5] Hawkins, cite par Jean Stern, Bible et tradition chez Newman, p. 64 

[6] Sermons 1824-1843, Vol. II, Oxford, Clarendon Press, 1993.

[7] « Why was not the whole scheme of the gospel revealed from the very day of the fall, and why were not all nations from Adam to the end of time to know the name of Christ and to be admitted into the fellowship of the Holy Spirit ? »

[8] « Now 1st the gradual revelation of the gospel affords us a more striking proof of what the Apostle calls (polypoikilos) the manifold wisdom of God (Ep 3) who in diverse manners carried on His work from age to age in the Jewish church, making preparations for the introduction of the gospel, providing the means, predicting the event, strengthening the evidence, till in the fullness of time Christ appeared. – This gradual revelation is analogous to the growth of living things in the natural world. God might create animals and herbs in an instant – but He has provided that the tree should slowly rise and spread from a slender twig or a small seed, watered by the dew and cherished by the sun – Is there not more to admire in these contrivances than if by operations of His almighty word all thing were at once perfect and at their full growth? – The case is similar as regards the revelation of the gospel – He has given us to see the wonderful machinery (so it [to] say) which was made to subserve His purposes – In the Apostle’s word Christ is not only the power of God, but the wisdom of God (1 Co 1) – Had God introduced the gospel suddenly, His work would have been as the lightning flash – we should not have discerned whence it came or whither it went – In condescension then to our weakness, He has wrought slowly and gradually, and that we might trace the movements of the divine hand. – As He employed six days in the original creation of the world, instead of producing it by one instantaneous act; so did He gradually effect the new creation of the moral world, which beginning at the fall was not completed till the Spirit’s descent on the day of Pentecost. » (Ibid. p. 346).

[9] Essai sur le développement de la doctrine chrétienne, Ad Solem, 2007, p. 69. 

[10] Ibid., p. 72. 

[11] Ibid., p. 74.

[12] Ibid., p. 75.

[13] Ibid., p. 80-81.

[14] Ibid., p. 83. 

[15] Ibid., p. 86.

[16] Cf. Sermons universitaires, XV, p. 331. 

[17] Ibid., p. 331-332. 

[18] Ibid., p. 346. 

[19] Ibid., p. 347. 

[20] Ibid.

[21] Essai sur le développement de la doctrine chrétienne, ch. II, section I, § 12, p. 98. 

[22] Cf. « L’état d’innocence », Sermons paroissiaux, V, 8, p. 96.

[23] L’Antichrist, Genève, Ad Solem, 1995, p. 33. 

[24] Il y aurait une troisième possibilité : voir dans le développement ce que Heidegger désigne par le nom de « dé-couverte », c’est-à-dire le processus par lequel un « déjà-là » se donne à voir. Cette perspective permet de lier le développement avec la mémoire, dont on sait le rôle qu’elle joue chez Newman dans l’élucidation, a posteriori, de la présence du Christ. Il suffit de mentionner le sermon célèbre sur « Le Christ manifesté dans le souvenir » (Sermons paroissiaux, IV, n° 17). Sur la question de la temporalité induite par le développement newmanien, cf. Grégory Solari, Le Temps découvert : l’idée de développement et l’intuition de la durée chez John Henry Newman et Henri Bergson, Paris, Le Cerf, coll. La Nuit surveillée (à paraître).

[25] Et Geiselmann continue : « Newman observe aussi qu’en ce qui regarde la Révélation vétérotestamentaire, “Il n’y a jamais eu un temps sans que cette révélation soit” (Grammar, p. 431). Cette révélation est l’équivalent de la religion naturelle, laquelle est “une tradition ou une communication accordée depuis en haut“ » (Grammar, p. 408). Puis, après avoir donné quelques exemples de coutumes ou de rites traditionnels, Geiselmann conclut, toujours citant Newman : « Ces ”fragments éparpillés de ces traditions originelles” peuvent servir de “moyens d’entrée dans le système chrétien” (Arians, p. 86), et furent des points d’appui pour le kérygme apostolique originel. » (p. 74-75). 

[26] Paris, Le Cerf, coll. Cogitatio Fidei, 2009.

[27] Commission Théologique internationale, L’Interprétation des dogmes (1990), p. 497, cité in Dans les traces, p. 48.

[28] Christophe Theobald, op. cit., p. 68. 

[29] Ibid., p. 69.